J’entends souvent dire que notre civilisation se trouve à la fin d’un cycle. Et si au contraire nous en débutions un nouveau ?
Le monde change rapidement, de manière profonde à tous les niveaux et dans toutes les régions du globe. Qu’ils soient politiques, météorologiques, environnementaux, économiques, technologiques ou sociaux, les changements observés aujourd’hui n’ont jamais été aussi fréquents et impactants pour les êtres humains de la planète. A l’origine de tous ces chambardements, un élément et un seul, l’être humain lui-même.
Pour y voir plus clair, explorons ces changements au travers d’un outil qui, à mon avis, recèle un grand potentiel pour la compréhension de ce que sera le management et la formation dans le futur : la spirale dynamique. Cette approche décrit un processus général de développement des valeurs individuelles et sociales. Elle a été développée pendant plus de 25 ans par Clare Graves dans les années 70, puis reprise par Don Beck et Chris Cowan.
Elle se compose aujourd’hui de 9 niveaux d’existence qui se superposent, dont chacun est représenté par une couleur. Un individu, dans un contexte donné peut manifester plusieurs de ces niveaux et peut, dans certaines situations, régresser vers les niveaux inférieurs.
Les exemples donnés ici ne sont pas de jugements de valeurs, mais des situations ou des environnements dans lesquelles les individus peuvent se trouver.
Les 9 niveaux de la spirale dynamique
Beige - Instinctif
Tout commence il y a 100'000 ans. L’homme fait son apparition dans un monde où la peur de ne pas trouver de nourriture est omniprésente. L’objectif de ces individus est de rester en vie. Ils vivent en horde, ils utilisent leur instinct pour survivre et leur niveau de conscience d’un soi est quasiment inexistant. Ils n’ont pas de système de valeurs. Cette période correspond aux 18 premiers mois du nouveau-né.
Exemples : Les individus en mode de survie.
Violet - Magique
Nous sommes il y a 50'000 ans. Le monde est un endroit effrayant, rempli de pouvoirs mystérieux et d’esprits. La peur de ne pas avoir de refuge est omniprésente. L’objectif des peuplades de cette époque est de trouver la sécurité. Les individus vivent en tribus. Ils obéissent aux esprits qui s’expriment au travers des anciens ou du chaman. Ils vénèrent des lieux et des objets sacrés. Leur système de valeurs est basé sur le traditionalisme. Cette période correspond à l’âge de l’enfant de 1 à 3 ans.
Exemples : certains groupes nomades, certaines tribus aborigènes qui vivent en retrait de la société contemporaine.
Rouge - Egocentrique
Nous sommes il y a 10'000 ans. Pour ces individus, le monde est une jungle, la nature doit être conquise. La peur d’être victimes des autres, perçus comme des prédateurs, est omniprésente. L’objectif de ces peuples est de dominer et d’avoir du pouvoir. Ils satisfont leurs impulsions au détriment des autres. Le but est de ne pas être dominé. Ils se battent pour avoir le contrôle. Leur pensée est égocentrique, ils recherchent la récompense immédiate et vivent au jour le jour. Leur système de valeurs est basé sur le pouvoir, le courage, la force et l’honneur. Cette période correspond à l’âge de l’enfant de 3 à 6 ans.
Exemples : sociétés féodales, bandes, jungle urbaine ; chez l’enfant c’est la période des super-héros et des films d’action.
Bleu - Normatif
Nous sommes il y a 5'000 ans. Pour ce collectif d’individus, le monde est contrôlé par une vérité ultime qui punit et éventuellement récompense : c’est la peur d’être punit par cette vérité qui prédomine. L’objectif de ces individus est de trouver un sens à la vie et à la mort. Ils vivent dans des structures hiérarchiques pyramidales. Ils se sacrifient maintenant pour obtenir une récompense plus tard, au nom d’un dieu, d’une patrie ou d’un parti. Chacun doit être à sa place : la discipline, le devoir et l’honneur, liés à la place occupée au sein de la société, sont de mise et leur pensée est absolutiste. Leurs valeurs sont basées sur le sacrifice, l’ordre, la structure et la justice. L’apprentissage se fait par endoctrinement et au travers des écrits, les cours sont magistraux (je sais, vous ne savez pas et je vais vous transmettre mon savoir). Cette période correspond à l’âge de l’enfant de 6 à 10 ans.
Exemples : La religion, le système soviétique, les musiciens d’un orchestre symphonique (aie…).
Orange - Opportuniste (la dominante actuelle)
Nous sommes il y a 500 ans. Pour ces individus, le monde est plein de ressources et d’occasion de se créer une vie plus prospère. Et la peur de ne pas avoir de statut obtenu par soi-même prédomine. Leur objectif est d’avoir du succès et de l’influence. Les individus vivent dans un système de hiérarchie active qui n’est plus statique comme dans le bleu, mais qui peut changer en fonction des réussites des uns et des autres. Ils recherchent l’autonomie et l’indépendance et créent de l’abondance de manière à vivre confortablement. Leur pensée est pragmatique et les relations se font sur la base de contrats. Leurs valeurs sont basées sur le matérialisme, la reconnaissance, le confort et l’autonomie. C’est l’apprentissage de masse qui se fait dans le but d’obtenir des diplômes et de gagner des concours, l’expérience est mise en avant. Cette période correspond au début de l’adolescence situé entre 10 et 15 ans.
Exemples : le monde des affaires, la recherche scientifique, l’économie comme science des choix rationnels, le star-system.
Vert - Relativiste
Cette période débute il y a une centaine d’années. Pour ce collectif d’individus, le monde est l’habitat commun de toute l’humanité et la peur d’être rejeté socialement prédomine. L’objectif de ces individus est d’appartenir et de vivre égalitairement en harmonie. Ils vivent en réseau, ils font la promotion du sens de la communauté, de la distribution des ressources à tous et de la libération de l’homme face à l’exploitation et l’avidité. Leur pensée est relativiste : toutes les cultures se valent, des mouvements spirituels sans église se développent, les valeurs orientales ont le vent en poupe. C’est la non-violence, l’écologie idéalisée. Leurs valeurs sont basées sur le sociocentrisme (tendance à analyser tous les événements historiques du point du vue social dont on est issu) et la communauté. L’apprentissage se fait par l’observation, le partage et les échanges. Il n’y a pas une solution, il y a autant de solutions qu’il y a de participants. C’est la vague émergente que l’on constate depuis quelques années dans certaines structures.
Cette période correspond à l’entrée dans le monde adulte situé entre 15 et 21 ans.
Exemples : les ONG, les mouvements citoyens, les cercles de parole, les thérapies de groupe, l’écologie, le développement des minorités, le début des entreprises libérées, les groupes de musiciens qui fonctionnent sans chef, etc.
Jaune - Systémique
Le jaune est présent depuis une cinquantaine d’années. Pour ces individus, le monde est un ensemble de systèmes complexes, changeants et incertains, dont il faut assurer la viabilité. Leur objectif est l’indépendance et l’estime de soi. Ils mettent en place des structures sociales comme la sociocratie (mode de gouvernance basé sur la démocratie directe qui s’appuie sur la liberté et la co-responsabilité). Ils valorisent la flexibilité et les systèmes ouverts, ils acceptent les paradoxes et la complexité, ils privilégient le savoir et la compétence. Leur pensée est systémique : la vie est un système dynamique complexe dans lequel la différence et le changement sont omniprésents. Leurs valeurs sont basées sur l’acceptation et l’existence. L’apprentissage est multidimensionnel, l’individu apprend par lui-même pour le simple plaisir d’apprendre, il fait des erreurs et apprend de celles-ci. Les diplômes ne sont pas importants, c’est l’assimilation et le développement personnel qui priment.
Le jaune peut intégrer les niveaux beige, violet, rouge, bleu, orange et vert. C’est la phase en émergence que l’on commence à voir poindre dans des petits groupes d’individus.
Turquoise - Holistique
Le turquoise a émergé il y a une dizaine d’années. Pour ce collectif d’individus, le monde est un réseau de composants interdépendants, formant un seul grand organisme qu’il faut harmoniser. A ce niveau, le moi profond n’est pas l’ego, mais une force de vie intégrée à l’ensemble. L’ego laisse petit à petit la place au soi, c’est l’union de l’intériorité et de l’extériorité. Ce niveau perçoit le sacré dans toute chose. L’économie, la société, la science, la spiritualité, la sexualité, le corps, les sentiments, l’humour, etc. Rien n’est à opposer, tout se rejoint.
Les niveaux émergeants ou futurs
Cela continue avec d’autres niveaux – comme le corail, en train d’émerger – qui feront leur apparition au fur et à mesure que l’humanité évoluera.
Il devient indispensable que l’humanité formule un nouveau mode de pensée si elle veut survivre et atteindre un plan plus élevé. (Albert Einstein)
Une évolution vers plus de conscience
Chaque système de valeur émerge quand les conditions de vie l’exigent et ceci pour autant que les individus concernés disposent des capacités cérébrales nécessaires à gérer ces nouveaux paradigmes. Quand un nouveau système de valeur émerge, il inclut les systèmes précédents.
Ces différents systèmes de valeur ont successivement dominé les individus et les sociétés humaines, et quand un enfant grandit, il parcourt en accéléré les mêmes étapes. Les différentes sociétés du globe et les individus qui les composent n’évoluent pas à la même vitesse. La globalisation et le développement des nouvelles technologies aura un effet d’uniformisation sur l’ensemble des populations. Cependant, des situations telles que des guerres, des catastrophes naturelles ou des crises économiques, vont obliger ces populations à régresser vers des niveaux inférieurs alors que des conditions favorables vont permettre à ces autres populations de progresser vers des niveaux supérieurs.
Chaque niveau correspond à une expansion de la conscience, il n’y a pas de bon ou de mauvais niveau, chaque niveau possède des qualités et des défauts ; chaque niveau contient et englobe les niveaux précédents. L’échelle de temps présentée dans cet article est indicative, car chaque individu ou groupe d’individu évolue différemment en fonction de son environnement.
Si on regarde l’illustration de la spirale dynamique sur une échelle temporelle, on constate que la fréquence des changements de niveaux s’accélère au fil du temps et qu’il devient difficile de discerner un niveau d’un autre. A l’échelle de la vie d’un humain, cela représente une superposition des niveaux dans une même existence et dans lesquels il faut encore intégrer les systèmes de valeurs précédents portés par les parents.
Des éclairages pour la formation
Dans le monde de la formation tout comme dans celui du management, on se questionne sur comment s’ajuster aux besoins des participants/collaborateurs, ceux-ci devant eux-mêmes répondre aux besoins de l’économie.
Des pistes de réponses se trouvent dans cette spirale. Pour commencer, il s’agit de reconnaître les niveaux qui dominent chez le formateur en tant qu’individu et comment il se positionne dans un contexte de formation. Il s’agit ensuite d’analyser le contexte de formation dans lequel il intervient : s’agit-il d’une structure, bleue - normative, orange - opportuniste ou verte - relativiste ? Ce niveau est de manière générale induit par le niveau de la direction elle-même, ce qui ne veut pas dire que les collaborateurs à former sont sur ce même niveau.
Le formateur sera très à l’aise dans un contexte de formation du même niveau que lui et il aura de la peine à comprendre les institutions ou les participants qui se trouvent à des niveaux supérieurs. Si le formateur se trouve dans une situation d’inconfort, il y a fort à parier qu’il redescendra d’un, voire de plusieurs niveaux afin de reprendre la situation en main.
Partant du principe qu’une institution ne peut pas évoluer à un niveau plus élevé que son dirigeant le plus haut, la tâche du formateur, s’il n’a pas la possibilité d’accéder à cette strate de l’institution, consiste avant tout, au travers de la matière à dispenser, à élever le niveau de conscience des apprenants et de ne pas les conditionner dans un niveau inférieur. Dans l’idéal il sera au niveau jaune - systémique, ce qui lui permettra d’intégrer tous les niveaux précédents.
A la lecture de cette spirale et du principe d’évolution évoqué plus haut, on peut espérer que la formation managériale évolue à des niveaux plus élevés, idéalement le jaune - systémique, afin d’amener les dirigeants de notre société à prendre en considération les besoins réels des individus, non la satisfaction de l’égo et la réussite personnelle.
En tant que formateurs, quelle que soit la matière dispensée, nous avons une place privilégiée pour accompagner le changement auprès de nos apprenants.
Références
- Article rédigé par Alain Binggeli formateur, consultant et coach en entreprise, société Organize à Morges.
- Article publié dans l'Agora (Revue des formateurs romands - ARFOR) de janvier 2017